Portiragnes, petit village près de Béziers, au bord de la Méditerranée, avec ses maisons de pêcheurs et son air salé, était bien loin de l’agitation des grandes villes. Ce n’était peut-être pas Paris, mais pour Lise, c’était un endroit bien particulier, une sorte de capsule hors du temps où elle avait appris à redécouvrir la vie, un sourire à la fois. Ce coin de France où l’on connaît par leur prénom les pêcheurs, les boulangers et même les mouettes trop familières, avait été le lieu de son renouveau, grâce à sa grand-mère Cathie.
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Lise n’avait que sept ans lorsque la vie l’avait frappée d’un coup violent et inattendu. Un accident de voiture avait emporté ses parents, laissant son cœur d’enfant brisé en mille morceaux. Elle se souvenait de la façon dont elle avait pleuré pendant des jours, terrée dans le coin d’un canapé, refusant de parler, refusant de manger. C’est sa grand-mère Cathie, fleuriste à la retraite, qui l’avait recueillie dans sa petite maison au bord de l’eau. Cathie avait tout de suite compris que la mission serait rude : faire rire de nouveau une petite fille que la vie avait déjà trop tôt meurtrie.
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Et pour cela, Cathie avait des plans. Oh, elle en avait des tas. Car elle n’était pas une grand-mère ordinaire, non. Cathie, c’était un peu la Mary Poppins du Sud de la France, avec des robes à fleurs, des chaussures usées et des cheveux gris entortillés en chignon. Elle avait l’œil malicieux, une collection impressionnante de tasses à thé dépareillées, et surtout, une imagination débordante.
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Un soir, alors qu’elles déballaient les affaires de Lise, Cathie posa un gros carton sur la table de la cuisine.
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— Allez, ma petite, regarde ce que j’ai trouvé pour toi ! déclara-t-elle en tapotant la boîte.
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— Qu’est-ce que c’est ? demanda Lise d’une petite voix.
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— Des trésors ! Rien que des trésors ! Tu vois, j’ai vidé le grenier et je suis tombée sur mes vieilles cartes postales et quelques affiches marines… Tiens, regarde !
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Cathie tira une affiche roulée et la déroula d’un geste théâtral. Une magnifique scène de mer bleue scintillante apparut, avec un grand voilier et des mouettes.
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— Ça va te donner envie de rêver d’aventures ! Et peut-être de marins musclés, qui sait ? ajouta-t-elle en riant, un clin d’œil espiègle.
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— C’est quoi, un marin musclé ? demanda Lise, un peu perplexe.
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Cathie éclata de rire en secouant la tête.
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— Oh, ça, ma chérie, tu comprendras plus tard. Pour l’instant, contente-toi d’imaginer des îles perdues et des trésors cachés.
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Lise, impressionnée par l’enthousiasme de sa grand-mère, hocha la tête.
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Le premier été passa doucement, rythmé par des rituels simples mais réconfortants. Chaque matin, elles allaient sur la plage, main dans la main, souvent en silence. Un jour, alors qu’elles marchaient sur le sable mouillé, Cathie brisa le calme avec un commentaire inattendu :
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— Tu crois que les poissons d’ici parlent avec un accent du Sud ? demanda-t-elle, l’air très sérieux.
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— Hein ? fit Lise, surprise.
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— Mais oui ! Imagine : « Eh, Dédé, file-moi cette crevette ! » lança-t-elle, en imitant une voix grave.
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Lise éclata d’un rire involontaire, le premier depuis des mois.
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— Mais n’importe quoi, mamie ! Les poissons, ça parle pas !
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— Ah, et tu sais ça comment ? Est-ce que tu es allée leur demander ? répondit Cathie avec un regard faussement accusateur.
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— Non… mais c’est sûr ! Ils n’ont pas de voix !
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— Ah, peut-être… ou peut-être qu’ils sont juste très discrets ! Tu sais, ils n’ont pas envie qu’on sache leurs secrets.
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Lise secoua la tête, mais un petit sourire était resté accroché à ses lèvres.
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Chaque après-midi, elles allaient faire leurs courses dans le village. Cathie adorait ces escapades et connaissait tout le monde. Quand elles entrèrent dans la boulangerie un jour, Ginette, la boulangère, les accueillit avec son habituel sourire chaleureux.
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— Ah, Cathie ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi aujourd’hui ? Une baguette ou un de mes fameux pains au chocolat ? demanda Ginette.
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— Tes pains au chocolat, ma chère Ginette, sont presque aussi bons que tes histoires ! Tu sais que je viens pour les deux ! répondit Cathie en riant.
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Ginette fit semblant de rougir, mais elle se tourna aussitôt vers Lise.
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— Et toi, ma grande ? Tu veux quelque chose ? On a des chouquettes toutes fraîches ce matin.
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— Oui… des chouquettes, s’il vous plaît, murmura Lise timidement.
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Cathie lui lança un regard malicieux.
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— Des chouquettes ! Eh bien, Ginette, tu vois ? On ne peut pas résister à tes talents. Même ma petite-fille est conquise.
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Plus tard, chez le poissonnier, René déclara avec fierté :
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— Cathie, regarde-moi ces huîtres ! Les meilleures de toute la Méditerranée ! Et elles sont parfaites pour ce soir.
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— René, mon cher, c’est gentil, mais personne ne mange des huîtres en été. À part toi, peut-être ? répondit Cathie en levant les yeux au ciel.
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Lise gloussa, observant les échanges comme un spectacle comique.
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Mais le meilleur restait les anecdotes de fleuriste de Cathie. Un soir, alors qu’elles rangeaient les courses, Cathie prit une rose blanche qui dépassait d’un bouquet.
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— Tu sais, ma petite, les fleurs ont leur langage.
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— Leur langage ? demanda Lise.
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— Oui ! Par exemple, un homme qui vient acheter des roses rouges en plein mois de juillet ? C’est qu’il est soit très amoureux, soit qu’il a fait une grosse bêtise. Mais les roses blanches… ah, ça, c’est pour les amoureux désespérés ou… les enterrements. Parfois, il y a peu de différence !
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Lise ouvrit de grands yeux.
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— Les fleurs parlent alors ?
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— Oh, pas avec des mots, mais elles en disent bien plus qu’on ne le croit. Tu verras.
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Et petit à petit, à force de mots, d’histoires et de moments simples, Lise apprit à rire de nouveau.
Cathie avait une manière unique d’embellir le quotidien, de transformer le moindre incident en une aventure rocambolesque. Par exemple, le jour où la vieille chèvre de Madame Dupont s’était échappée et avait semé la pagaille sur la plage, elle avait ri jusqu’aux larmes.
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— Regarde-moi ça, Lise ! Une chèvre sur la plage, tu as déjà vu ça ? s’était-elle exclamée, les mains sur les hanches.
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— Elle va manger les serviettes ! avait répondu Lise, inquiète.
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— Oh non, c’est bien plus grave que ça, ma petite ! Regarde comme elle examine les vagues… Je te parie que c’est une espionne déguisée !
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— Une espionne ? répéta Lise, mi-intriguée, mi-amusée.
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— Oui, elle vient sûrement de la ville d’à côté pour voler les secrets des poissons de Portiragnes !
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— Mais les poissons n’ont pas de secrets, mamie… soupira Lise en levant les yeux au ciel.
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— Bien sûr que si ! Et cette chèvre, c’est une professionnelle. Regarde comme elle s’infiltre discrètement entre les parasols !
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Lise ne put s’empêcher de rire, malgré elle. Cathie avait ce don.
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Au fil du temps, Cathie introduisit Lise aux mystères des fleurs. Sa passion pour l’horticulture était intacte, même après sa retraite, et elle avait transformé le jardin de leur petite maison en un véritable arc-en-ciel végétal. Un après-midi, alors qu’elles plantaient des tomates, Cathie se redressa soudain avec un air très sérieux.
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— Bon, Lise, il faut leur parler.
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— Parler… aux tomates ? répondit Lise, incrédule.
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— Mais bien sûr ! Elles poussent mieux quand on leur parle. C’est prouvé scientifiquement !
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— Tu dis ça pour tout, mamie, et je suis pas sûre que ce soit vrai.
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— Ah, ma chérie, tu veux savoir pourquoi mes tomates sont plus rouges que celles de René ? Parce que moi, je leur récite des poèmes. “Ô tomate, toi qui rougis sous le soleil…”
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Lise éclata de rire en secouant la tête.
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— Mais elles comprennent pas, mamie !
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— Peut-être pas, mais elles sentent qu’on les aime. Et toi, tu pourrais leur dire quelque chose de gentil ? Allez, fais un effort.
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Lise se pencha vers une petite plante et murmura, un peu gênée :
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— Euh… pousse bien, s’il te plaît ?
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Cathie tapota son épaule avec un sourire satisfait.
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— Tu vois, c’est pas si compliqué. Et qui sait, peut-être qu’elles te répondront un jour !
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Les jours de pluie, elles restaient à la maison et jouaient aux cartes. Cathie lui avait appris le rami, mais elle adorait inventer des règles complètement absurdes pour pimenter le jeu.
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— Bon, écoute-moi bien, Lise. Si tu tires un cœur et un trèfle en même temps, tu dois chanter une chanson.
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— Quoi ? Mais ça n’a aucun sens ! protesta Lise en riant.
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— Ce sont les règles ! répondit Cathie avec un air faussement sérieux. Tu veux jouer ou pas ?
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— Mais c’est toi qui inventes tout au fur et à mesure ! Tu triches !
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— Moi ? Tricher ? Mon honneur est outragé, jeune fille ! Allez, tire une carte. Et prépare ta voix.
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Lise finit par céder et entonna une version maladroite de « Alouette, gentille alouette », ce qui déclencha un fou rire incontrôlable chez Cathie.
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— Mon dieu, on dirait que tu tortures cette pauvre alouette, ma chérie ! Il va falloir travailler ça !
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Les soirées d’été étaient souvent les plus magiques. Après une longue journée passée dehors, elles s’installaient dans le jardin pour regarder le soleil se coucher et écouter le chant des cigales. Cathie servait toujours une infusion de verveine, qu’elle accompagnait de petits gâteaux qu’elle prétendait avoir faits elle-même.
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— Voilà, des biscuits maison, préparés avec amour tout l’après-midi, dit-elle en posant fièrement une boîte en fer blanc sur la table.
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Lise plissa les yeux et croisa les bras.
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— Mais mamie… c’est la boîte de l’épicerie !
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— Eh bien, oui, bien sûr, je fais même mes propres emballages maintenant ! Très pratique, tu ne trouves pas ?
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— T’es vraiment pas crédible, tu sais…
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— Peut-être, mais tu vas quand même les manger, non ?
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— Oui… admit Lise en souriant.
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Elles éclatèrent de rire et se mirent à grignoter en silence, profitant du calme de la soirée.
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Peu à peu, le chagrin de Lise s’adoucit. Elle réalisa que Cathie ne cherchait pas à remplacer ses parents. Elle lui offrait autre chose : un refuge où la tristesse pouvait cohabiter avec le rire, où les épreuves de la vie se transformaient en aventures extraordinaires. Chaque journée avec Cathie était une nouvelle histoire, un nouveau chapitre rempli de légèreté et d’amour. Et à travers tout cela, Lise apprit que même au cœur du chagrin, la vie pouvait être douce, pleine de surprises, et surtout, pleine de rires.
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