Le silence envahit l’auvent sous lequel le clan et une partie des autochtones étaient rassemblés. Les Touaregs qui oscillaient entre consternation et désenchantement depuis le début de l’entrevue reçurent les propos du médecin comme un coup de massue ; l’oasis promise par leur mentor leur sembla, soudain, une vaste chimère.
— Hum, hum…, fit Piotr en se raclant la gorge afin d’attirer l’attention. Je suis d’accord avec votre docteure. Si vous voulez éviter la maladie, mieux vaut ne pas rester. Cependant, la situation n’est pas aussi dramatique qu’elle en a l’air. Même si nous ne parviendrons jamais à l’éradiquer, nous pouvons diminuer de façon conséquente la radioactivité contenue dans l’eau grâce à un procédé que les humains utilisent depuis des millénaires : la distillation.
— C’est quoi la dilation ? demanda un petit blondinet assis sur les genoux de Myriam.
— La distillation, corrigea le barbu en souriant, permet de nettoyer l’eau polluée. En la chauffant, elle s’évapore et se transforme en gouttelettes beaucoup moins dangereuses pour la santé.
— Et ça marche aussi pour les aliments ? questionna Rachid qui pensait avec avidité aux paniers débordants de fruits.
— Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé le moyen d’assainir la nourriture. Mais si nous ne pouvons pas vous offrir à manger, nous pouvons vous donner à boire, répondit Piotr qui avait capté le regard désabusé de Manyara.
La chef de tribu releva la tête d’un air interrogateur :
— Vous accepteriez de nous fournir de l’eau !
— Bien sûr ! Et si vous faites le choix de partir, nous sommes prêts à vous raccompagner au sommet de la falaise au moment qui vous conviendra le mieux.
— Vous voulez dire que nous devons rebrousser chemin !
— Oui, c’est la seule issue. Mais, dans la forêt, vous trouverez des chevaux que nous élevons pour la chasse. Ils sont rapides et résistants. Ils vous seront très utiles pour franchir les fumerolles.
À l’évocation des vapeurs toxiques, un sentiment d’appréhension saisit les nomades qui réagirent avec vivacité.
— Si on traverse le nuage, on mourra tous ! s’écria un Touareg qui avait délivré Owen des gaz délétères et se souvenait des heures passées à éructer le mucus sombre qui lui encombrait les bronches.
— C’est bien gentil tout ça ! gémit un autre. Mais on sait même pas monter !
Manyara que l’attitude bienveillante du barbu avait rassérénée leva la main pour faire taire les cris de désapprobation.
— Mes amis, je comprends que vous vous sentiez floués, commença-t-elle alors qu’elle tentait vainement de maîtriser les tremblements dans sa voix. Cet endroit n’est pas le refuge que je vous avais promis et parce que j’ai mal interprété les messages que les défunts m’ont envoyés, nous voici obligés de reprendre la route. Je vous en demande humblement pardon !
Elle garda le silence, le visage tendu vers la vingtaine de Touaregs qui l’écoutaient, bouleversés autant par ses remords que par son aveu d’impuissance. Tandis qu’elle réalisait avec anxiété l’ampleur de leur désarroi, une vieille maxime lui revint soudain en mémoire : « Ainsi est la vie : tomber sept fois. Se relever huit. ». Elle eut l’intuition que l’être qui la lui soufflait du néant l’encourageait à ne pas abandonner. Cette pensée la galvanisa.
— J’ai failli, c’est vrai, mais j’ai toujours été loyale ! reprit-elle avec une sincérité que personne, dans l’assemblée, ne songeait à remettre en cause. Mon seul et unique vœu est d’accomplir le destin que m’ont dicté les voix. Alors, si vous avez encore foi en mes prédictions, je vous en conjure, écoutez-moi !
Alors que le reste du groupe, troublé, gardait le silence, Néty demanda affectueusement :
— Que veux-tu nous dire, ma belle ?
— Qu’il ne faut pas baisser les bras ! Faisons confiance à Piotr et acceptons l’aide qu’il nous offre. Il sait mieux que nous comment quitter cet endroit !
— Et après ? interrogea Tourk, avec méfiance. Même si nous sortons vivants de la traversée, où irons-nous ?
— Je suis certaine que les âmes de nos disparus ne nous laisseront pas tomber ! Si le résultat aujourd’hui est loin d’avoir comblé nos espérances, il nous a néanmoins prouvé que nous pouvions trouver de l’eau. Je dis « nous », parce que c’est ensemble que nous parviendrons à atteindre notre but. Sans vous, sans votre soutien, ni Owen ni moi ne serons capables de localiser une source.
L’adolescent qui était resté prostré depuis leur installation sous le préau se redressa tout à coup et prenant la main de la médium, il l’obligea à se lever.
— Je suis d’accord avec toi, Many ! On n’a pas le droit de se laisser abattre ! C’est vrai, on s’est trompé et peut-être qu’on se trompera encore, mais est-ce une raison pour tout abandonner ?
Tandis que ses camarades le regardaient avec stupéfaction, Owen poursuivait, d’une voix fébrile :
— On a partagé des tas d’épreuves pour arriver jusqu’ici et en chemin, beaucoup de ceux que nous aimions ont disparu ! Eux, ils n’ont pas eu de deuxième chance ! Que diraient-ils s’ils nous voyaient aujourd’hui ? « Laissez tomber les gars, c’est trop dur ! » ?
La fougue avec laquelle il s’était exprimé rougissait ses joues d’ordinaire si pâles et ses yeux de jade brillaient d’un tel éclat que beaucoup dans l’assistance eurent le sentiment de découvrir un autre Owen ; impétueux, farouche, déterminé.
— Vous nous avez recueilli, Marguerite, Eyan et moi alors que nous avions tout perdu ! continua-t-il d’un ton plus calme. Laissez-moi vous aider en retour. Accordez-moi votre confiance. Je sais que je peux trouver de l’eau.
— Qu’en pensez-vous, mes amis ? demanda posément la médium aux Touaregs qui hésitaient à prendre la parole. Êtes-vous déterminés à accompagner Owen ou préférez-vous rester ici, auprès de Piotr qui, je n’en doute pas, acceptera de nous donner asile ?
— Nous serions heureux d’agrandir notre communauté, fit le barbu, répondant avec cordialité à la sollicitation de Manyara. Toutefois, je pense que vous auriez plus d’avantages à partir qu’à demeurer parmi nous. La décision vous appartient, mes amis…
Après avoir longuement examiné ses camarades, Myriam se résolut à livrer l’interrogation qui les tenaillait tous :
— Nous serions d’accord pour vous suivre, Owen et toi, mais tu sais comme nous qu’il est impossible de franchir la barrière de gaz !
— J’ai peut-être une solution…
Tous les membres de la tribu se tournèrent d’un même élan vers l’enfant qui venait de s’immiscer dans la conversation. Le jeune passionné d’aviation, de science et de romans d’aventures contempla avec flegme ses compagnons, les mains tranquillement croisées sur la table de bois.
— Nous dis pas qu’on va encore jouer les oiseaux ! s’alarma, effrayée, l’édentée au visage flétri comme une vieille pomme.
— Non, rassure-toi, Néty !
— Alors, quoi ? s’impatienta Rachid.
— On va fabriquer des masques gaz ! déclara le petit surdoué en regardant son aîné droit dans les yeux.
— Et avec quoi, s’il te plaît ? railla le Touareg, l'air goguenard.
— T’inquiète pas pour ça ! Il y a tout ce qu’il faut ici !
— Écoute, Rachid ! Si Zach est parvenu à nous conduire jusqu’ici, je crois qu’il est capable de nous en faire sortir. Faisons-lui confiance !
Un silence solennel accueillit la réflexion de Manyara qui, en guide éclairé, connaissait l’importance de l’espoir et du crédit mutuel au sein d’une tribu comme la leur. Ses amis ne renonceraient pas à tenter leur chance, aussi mince soit-elle, elle en était sûre désormais !
— Très bien, admit Rachid, d’une voix radoucie en se tournant vers Zacharie. Dis-nous alors ce que nous pouvons faire pour t’aider.
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